Tuesday, October 27, 2009

L'importance des Black Swans en Economie




En 1997, le fond Long Term Capital Management (LTCM, qui comptait à son bord les deux prix nobels MERTON et SCHOLES) disposait des modèles de prédiction les plus avancés de sa génération. Guidés par les conseils de ces algoritmes concernant la dégradation de l'économie, les gérants vendent de grands nombres d'options de couverture misant sur une baisse de la volatilité (voir ici). En effet, la volatilité sur les marchés atteignait des sommets, et la très forte probabilité qu'elle baisse laissait entrevoir des profits Mark to Market records. Le 17 Aout 1998, l'Etat Russe procéda à la dévaluation de sa monnaie et fit défaut sur sa dette. Un évènement inconcevable qui n'avait aucune place dans les modèles utilisés par le fond. Les Génies avaient échoué, et le monde financier traversera une crise.






Un Black Swan ou "Cygne Noir" est un évènement rare, imprévisible, et dont l'impact sur son environnement est majeur. Celui-ci peut etre positif ou négatif, des exemples allant des attentats du World Trade Center à l'apparition de Google, en passant par la découverte du Feu ou le Tsunami asiatique. Attribué à Nassim Nicholas TALEB pour son livre  paru 2007, le terme est dorénavant devenu commun dans le cercle des Financiers.


 Maintenant que nous commençons à avoir du recul sur les évènements ayant mené à la crise des Subprimes, il est devenu commun de dénigrer ceux qui "auraient du voir venir la crise" (les noms les plus communs étant Bernanke, les élites de Wall Street, les économistes...) et d'accorder une confiance aveugle à ceux "qui l'avaient bien dit" (Peter SCHIFF, Nouriel ROUBINI). 
Pourtant, si une unique leçon était à tirer de la Crise économique, c'est que l'improbable dépasse par définition nos capacités de prévision: nous devons apprendre à composer avec lui, et passer outre notre volonté de toujours vouloir prévoir.





  • Les Oeillières de GAUSS
A chaque crise économique sont associés des noms d'Economistes, Traders ou autres personnalités de la sphère financière ayant "prévu la crise". Ceux-ci voient leur cotes monter, et leur carnet de clients potentiels exploser: on leur reconnait un talent, une expertise qu'ils monétisent.
En reconnaissant à ces individus un pouvoir de lecture sur les marchés financiers, on leur attribue la capacité de comprendre l'exubérance irrationelle y reignant.
Et si ils n'avaient pas eu raison par usage d'une capacité de rationnalisation hors-norme mais simplement par hasard?


Illustration du "survivorship bias", notre inclination naturelle a porter attention aux performances des survivants, en omettant la taille de l'échantillon initial.





Le cerveau humain génère en permanence des schémas (patterns) destinés à analyser les données qu'on lui donne à synthétiser. Un des schémas de rationnalisation les plus intuitifs est certainement la courbe de Gauss ou Loi Normale
L'idée a retenir pour cette analyse est que dans un environnement gaussien, la fréquence d'apparition d'un phénomène appartenant a un ensemble est inversement proportionnelle a son écart avec la moyenne de l'ensemble.  
Si l'on calcule la taille moyenne des individus d'un pays, il y a de moins en moins d'individus concernés lorsque l'écart avec la taille moyenne augmente et ce, jusqu'à ce que les queues de la courbe atteignent 0. Avez vous déjà croise des individus mesurant 4 mètres, ou 20 centimètres?  
La taille des individus étant une variable gaussienne, la probabilité de trouver des personnes d'1m50 sera relativement plus forte en Asie (ou la taille ; moyenne est moins élevée) qu'en Scandinavie (ou elle est plus élevée).


Comme la taille des individus, il existe de nombreuses données dont la distribution suit une loi Normale. Les Marches Financiers n'en font pas partie.
Eugene FAMA avait montre que si tel était le cas, des écarts conséquents (dont l'écart-type serait 5 fois supérieur a la moyenne) ne devraient avoir lieu qu'une fois tous les 7000ans.  Pourtant, ces sauts sont observables environ tous les 3 ou 4 ans (soit plus de 1500 fois plus probables).
Benoit MANDELBROT, une des seules personnes tenues en respect par TALEB, avait lui aussi procédé a ce type d'expériences, avec les mêmes résultats:
  Benoit Mandelbrot, who gives short shrift to those who believe financial markets resemble a bell curve, with modest movements the norm and violent moves infinitesimally rare. Looking at the daily movements of the DJIA from 1916 to 2003, Mandelbrot said that according to the neat bell curve analysis, there should have been 58 days when the Dow moved more than 3.4%, when in fact there were 1,001.
Instead of just six days when there were movements of more than 4.5% there were 366. Only once in every 300,000 years should there have been a day when the Dow moved by 7% or more, but it happened 48 times. "Extreme price swings are the norm in financial markets - not aberrations that can be ignored. Price movements do not follow the well-mannered bell curve assumed by modern finance; they follow a more violent curve that makes an investor's ride much bumpier," Mandelbrot says in his book The (Mis)Behaviour of Markets (Profile Books). "A sound trading strategy would build this cold, hard fact into its foundations". 





Une représentation sous forme Gaussienne des mouvements ayant lieu sur les marches financiers laisserait entrevoir a chaque extrêmes de la distribution des "Fat Tails", reflétant le fait qu'il existe un grand nombre d'évènements a caractères idiosyncratiques.



Afin de modéliser leurs risques, les institutions financières utilisent des batteries d'indicateurs et modèles. Le VaR (Value at Risk) est (était?) le plus populaire depuis son introduction par des quants de JPMorgan. Un des facteurs de sa popularité: il renvoie un simple chiffre, censé refléter l'exposition aux risques d'un portefeuille déterminé. Un second facteur de sa popularité: La demande de la SEC aux institutions financières a la fin des années 90 de publier un indicateur reflétant le risque de leur position. Enfin, Le Comite de Basel autorisait les Banques a fixer leur niveau de capital requis sur le niveau de leur VaR. 
Une citation plus que d'autres sur laquelle je pense utile de s'arrêter:
I believe that Value at Risk is the alibi bankers will give shareholders and the bailing-out taxpayer to show documented due diligence, and will express that their blow-up came from truly unforeseeable circumstances and events with low probability, not from taking large risks they did not understand. ... I maintain that the due diligence VaR tool encouraged untrained people to take misdirected risk with shareholders' and ultimately the taxpayers', money. (ici)
Comme vous pouvez le voir, elle vient de TALEB et, plus surprenant, elle date...1997.
Reposant sur les préceptes Gaussien en termes de probabilités, le VAR ne pouvait voir venir des chocs idiosyncratiques tels que l'explosion de la Bulle des Télécoms ou  la crise actuelle. Ces Outliers se situaient au dessus de la Tail présupposée par le modèle.











Un cheval est muni d'oeillères pour ne pas être influencé par l'environnement extérieur. Le fait est, si un évènement majeur se déroule (Comme une voiture arrivant sur son flanc), il ne pourra pas la voir venir et sera percuté.
Un arbitrage est réalisé: celui de se protéger contre des phénomènes mineurs mais fréquents mais en augmentatnt son exposition à des phénomènes rares d'importance supérieure.

En se concentrant sur le VaR et en appliquant implicitement une distribution normale aux évènements occurant sur les marchés financiers, le système financier s'est, lui aussi, muni d'oeillères.



2 comments:

  1. très bon article.
    Je pense qu'il ne faut pas s'arreter aux constats. un travail de reflexion s'impose: quels modèles pour les marchés du 21ème siècle ? quels sont les traveaux encours ou déja effectués permettant d'anticiper les cygnes noires sans pour autant etre parano et rater l'essentiel des cycles ?

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  2. Je partage cet avis, et la 2ème partie de cet article sera, je l'espère, une ébauche de réponse.

    Merci,

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